Un chemin de la Retirada

Les camps d'Afrique du Nord

Après la Retirada, un nouvel épisode d'exode se produit.

Il survient dans les toutes dernières semaines de la guerre civile, en mars 1939, alors que le camp républicain se délite complètement et que la zone centrale, la dernière à ne pas être sous domination franquiste, est sur le point de tomber.

Carthagène, siège de la flotte républicaine, est bombardée par l'aviation italienne alors que les vaisseaux sont au mouillage. Le 5 mars, le commandant donne l'ordre d'appareiller et de prendre la direction de Bizerte (Tunisie).

Quelques jours plus tard, le 26 mars, les nationalistes lancent leur offensive finale. Ils prennent Madrid le 28, puis c'est le tour de Jaén, Cuenca, Albacete,... Des milliers de soldats républicains se dirigent alors vers les ports de Valence, Alicante, Carthagène et Gandia, espérant être évacués mais les gouvernements français et britannique s'y refusent. Une minorité des combattants (quelques centaines, ceux qui peuvent payer leur traversée) embarquent sur les navires britanniques.

Entre 10 et 12 000 personnes parviennent à embarquer. Ceux qui resteront bloqués dans les ports sont contraints de se rendre ; ils seront conduits, par milliers, au camp de concentration franquiste d'Alcatera.

Les côtes marocaines sont proches de l'Espagne mais le nord du Maroc est au main des franquistes, les cargos de réfugiés prennent donc la direction de l'Algérie et de la Tunisie.

L'accueil des réfugiés en Afrique du Nord est tout aussi improvisé que l'a été, quelques semaines plus tôt, celui des réfugiés qui avaient franchi les Pyrénées.

Comment se passe l'accueil des réfugiés en Tunisie ?

La flotte républicaine, qui a quitté Carthagène le 5 mars 1939, pénètre dans les eaux territoriales tunisiennes dès le 7.
A Bizerte, les équipages sont immédiatement pris en charge par les autorités locales et acheminés en train vers le Sud du pays. La destination qui leur est assignée est la mine désaffectée de Meknassi : Mehri-Jebbès.

Au passage du convoi, à Ferryville, à Tinja, des associations, des comités de soutien jettent des paquets de vivres et des cigarettes aux marins espagnols.

Mais, si l'arrivée de ces combattants républicains suscite un élan de solidarité de la part d'organisations humanitaires, politiques ou syndicales, elle suscite aussi de la méfiance de la part de l'autorité coloniale et une partie des Tunisiens.

D'autres cargos atteignent la côte tunisienne. Les tentatives pour les refouler sont infructueuses car les réfugiés refusent, pour la plupart, de retourner en Espagne.

Ils sont rassemblés à Meknassi.
Quelques femmes et enfants sont accueillis dans des centres à Tunis, à l'hospice de Manouba, Gafsa et Kasserine.

Je ne sais pas si c'est dans le but de faire taire leurs détracteurs ou parce que cela s'intégre dans une action politique plus large, mais toujours est-il qu'immédiatement après une visite d'inspection du camp de Mehri-Jebbès, les autorités forment le projet de créer un village espagnol à Kasserine.

Les choses se concrétisent vite et, dès le 4 mai, une cinquantaine d'Espagnols (notamment des maçons, des agriculteurs, des jardiniers et des maraîchers) sont désignés pour constituer la colonie agricole. A Kasserine, ils jouissent d'une semi-liberté (c'est-à-dire qu'ils peuvent quitter le camp et se rendre au village pour y régler leurs affaires personnelles ou celles du camp). Au bout de quelques mois, les réfugiés disposent d'une ferme, de maisons d’habitation, d’une maison commune et d’un dispensaire. Aussi, des démarches sont engagées pour faire venir leurs familles en Tunisie.
Par la suite, la colonie, que l'on appelle aussi Chambi (du nom d'une montagne voisine) se dote de bêtes de somme, d'un atelier mécanique et améliore le système d'irrigation de ses terres. Elle devient rapidement le plus grand producteur de légumes de la région et, au final, un nouveau centre urbain.

Qu'advient-il des cargos qui accostent en Algérie ?

La toute première réaction des autorités portuaires est de refouler les embarcations. Mais les équipages, soutenus par leurs passagers, refusent de repartir. Les Préfets d'Alger et d'Oran, forcés de trouver une issue à la situation, adoptent la solution mise en œuvre en métropole. Les Espagnols disposant de ressources sont invités à vivre de leurs propres moyens, voire de quitter l'Algérie. Pour les autres -l'immense majorité-, les autorités improvisent des camps.

Comme ceux du sud de la France, les camps d'Afrique du Nord sont spécialisés par catégorie d'internés.

Au début, les hommes sont maintenus à bord des cargos tandis que les premiers "centres d'hébergement" ouvrent en ville pour accueillir les femmes, les enfants, les personnes âgées, les malades et les mutilés.

Dans l'arrondissement d'Alger, les réfugiées, avec ou sans enfants, sont regroupées au camp de Carnot et à Orléansville.

A Oran, on utilise des bâtiments désaffectés : le Centre n° 1 occupe l'ancienne prison civile et le Centre n° 2 est ouvert dans les anciens docks situés sur l’avenue de Tunis. On y regroupe des femmes et des enfants. C'est très insuffisant. Au mois d’avril, les autorités font monter des marabouts (qui sont de grandes tentes rondes) sur les quais oranais à Ravin Blanc ce qui constitue le Centre n°3, un centre destiné aux hommes. Dans la foulée, la  colonie de vacances « La mer et les pins », à Aïn-El-Turck, devient le Centre n° 4. On y accueille des réfugiées espagnoles et leurs enfants.

En juillet 1939, un autre centre, un camp d'hommes, est ouvert dans l'ancienne caserne de Relizane.

Dans le département d'Oran, à la mi avril, on dénombre également une quarantaine d'Espagnols à Beni-Saf, une centaine de réfugiés "hébergés" dans le fort de Mers-el-Kébir et 127 hospitalisés.

Mais ce n'est toujours pas suffisant et près de 2 000 réfugiés se trouvent toujours à bord des cargos (essentiellement des hommes).
A partir du 20 avril (seulement !) des inspections sanitaires sont menées dans les camps et sur les cargos et, début mai, les derniers passagers débarquent enfin.

Entre-temps, de nouveaux camps ont été mis sur pied :

- les centres de Ben chicao et de Beni Hendel ou camp Molière (constitué de 2 granges), réservés aux femmes, aux enfants et aux familles,

- et, dans l'arrondissement d'Alger, le camp Morand à Boghari (qui réemploie d'anciens baraquements militaires) et le camp Suzzoni à Boghar (camp disciplinaire et de travail). Constitués de baraques rudimentaires ceinturées de barbelés, ces camps sont destinés à l’internement des « miliciens » (les autorités françaises désignent sous ce terme les soldats des forces républicaines espagnoles). Les conditions de vie y sont extrêmement difficiles (désert algérien = rigueurs du climat + difficultés de ravitaillement + manque d'eau + mauvaises conditions d'hygiène). Les internés sont transférés en juillet 39 au camp de Relizane.

Plus tard, un autre camp ouvre à Cherchell (à 60 km à l'Ouest d'Alger) pour les hommes "de catégorie socio-profesionnelle supérieure" (ces hommes seront mieux traités que les miliciens).

En mai 39, une mission internationale visite les camps d'Afrique du Nord et alerte les autorités sur les conditions de vie catastrophiques. Dans la foulée, la conférence d'Aide aux réfugiés qui se tient à Paris en juillet 39 demande la dissolution de Boghari... en vain.

A partir de 1941, les "fortes têtes" venues des camps politiques de la métropole se retrouvent au camp de Djelfa. Situé à 1 200 m l'altitude, le camp est soumis au climat rigoureux des hauts plateaux (très chaud en été, très froid en hiver). Au début, les internés sont logés dans des marabouts. A la fin de l'année, une partie d'entre eux peuvent dormir dans des baraques en dur qu'ils ont construites eux-mêmes. Au printemps suivant, il y a assez de baraques pour tous. Les internés aménagent également le gué qui permet d'accéder au camp afin que l'oued ne coupent plus l'accès au camp en sortant de son lit après chaque orage.

En 1941, le changement de tutelle a pris un peu de temps et les camps ne passent sous la responsabilité directe du Gouverneur général qu'au mois de juillet. Pour compenser la chute de ses effectifs (conséquences de la politique du nouveau régime), le gouverneur crée un corps spécial de troupes indigènes, les douairs, et confie à des détachements mixtes (gardes de la police et douairs) la surveillance des camps, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la bonne marche du dispositif d'internement.

Le chantier du Transsaharien : un camp de travaux forcés ?

L'idée d'une ligne de chemin de fer qui traverserait tout l'empire colonial français, de l'Algérie au Niger, est ancienne (avant 1879 ?). Pendant très longtemps, le sujet divise l'opinion mais, de fil en aiguille, ou plutôt de missions d'exploration en commissions d'étude, les autorités françaises parviennent finalement à ficeler un projet (tracé, financement...) mais la crise de 1929 oblige à son ajournement.

Le déclenchement de la 2ème guerre mondiale vient rebattre les cartes. Dès décembre 39,  afin de faciliter le transport du charbon, la France décide de relier ses mines de Kenadsa au chemin de fer marocain. Pour la main d'œuvre, on fait appel aux CTE (Compagnies de travailleurs Étrangers) et de nombreux républicains espagnols, combattants de l'Armée populaire ou anciens brigadistes, se trouvent mis à disposition des chantiers.

Après l'armistice, Vichy s'empare du projet et décide, le 22 mars 1941, la construction du chemin de fer Transsaharien reliant Alger à Dakar. La réalisation de cette ligne de 3 650 kilomètres est confiée à une nouvelle société, Merniger (= Réseau des chemins de fer Méditérranée-Niger) et 4 jours plus tard, les travaux sont lancés.

Les prévisions annoncent la construction d'un kilomètre de voie par jour, le projet est donc prévu pour s'échelonner sur 6 ans.

Merniger dispose de GTE (Groupements de travailleurs Étrangers) et complète avec les internés des camps. De surcroit, des indésirables sont acheminés en convois depuis la métropole vers les chantiers du Transsaharien car le Gouvernement de Vichy trouve-là une  «occasion unique d’éliminer de France une main-d’œuvre en excédent de besoins ». En dépit de toute la main d'œuvre qui lui est consentie, le chantier prend beaucoup de retard à cause de problèmes techniques et climatiques.

Début 1941, la société Merniger dispose toujours de 1 000 étrangers engagés pour la durée de la guerre, de 2 000 travailleurs espagnols des GTE, et de 2 000 travailleurs nord-africains. Mais faisant le constat que les mauvaises conditions d'emploi ne donnent pas satisfaction, Merniger demande à ce que les travailleurs soient soumis par contrat directement à l'entreprise, ce que les autorités acceptent.

Après le débarquement allié de novembre 1942, le régime des travailleurs du Transsaharien est à nouveau modifié. La libération promise n'a pas lieu et les travailleurs qui veulent rester en Algérie sont obligés d'accepter le statut de requis, au même titre que les Français touchés par le Service de Travail Obligatoire.

En avril 1943, une inspection du camp de Colomb-Béchar indique que 1 000 républicains espagnols, anciens brigadistes, civils ou combattants de l'Armée populaire, s'y trouvent toujours. Au cours des deux années écoulées, la nourriture et le service sanitaire se sont améliorés et, à présent, les réfugiés perçoivent 70 francs par jour (en tant que requis) et peuvent librement circuler. Toutefois, de l'aveu même d'un responsable du Merniger, « on a épuisé ces gens, on a créé chez eux les conditions de haine contre les Français, parce qu’ils ont été traités comme des bêtes ».

Au final, Merniger aura construit 262 kilomètres de voie. Après la Libération, 36 autres kilomètres de voie ferrée seront réalisés avec l’aide des internés allemands et italiens.

Que sont devenus les Espagnols réfugiés en Afrique du Nord ?

Pour réduire le nombre des internés, les autorités d'Afrique du Nord ont encouragé l'hébergement chez des particuliers mais, surtout, ont essayé d'obtenir "de façon pressente"  des internés qu'ils quittent le territoire :

- pour émigrer vers l’Amérique latine

C'est un fait qu'à leur arrivée en Afrique du Nord, beaucoup de réfugiés étaient en possession d'un passeport espagnol avec des visas à destination du Mexique, de Cuba ou du Nicaragua. Mais, en réalité, peu d'entre eux avaient véritablement l'intention de rejoindre l'Amérique du Sud. C'est juste que c'étaient les seuls passeports qu’ils avaient pu obtenir pour quitter l’Espagne !

- ou retourner en Espagne

Si l'opération visant à obtenir le retour en Espagne du plus grand nombre possible de réfugiés a été particulièrement efficace en métropole, le dispositif est un échec en Afrique du Nord. En dehors de 2 200 marins de Bizerte, à peine quelques dizaines d'Espagnols (parmi les 10 ou 12 000 qui ont débarqués en Afrique du Nord) sont volontaires au rapatriement. Cela s'expliquerait par le fait que ces réfugiés étaient majoritairement très politisés.

 

En tout état de cause, au fil des mois, les camps se sont vidés peu à peu. Les Centres n° 1 et 2 et les camps de Ben Chico et Chercell ont fermé en février 1940, quand leurs derniers occupants ont été dirigés soit sur Carnot quand ils étaient inaptes au travail, soit s'ils pouvaient être employés à la réfection des routes, l’extraction du charbon ou à la construction du Transsaharien, vers Morand ou Suzzoni car ces 2 camps avaient été transformés en GTE.

Les derniers camps ont fermé en avril 1943 sous la pression de l'opinion publique américaine. Les derniers internés ont eu le choix entre émigrer, obtenir un contrat de travail ou s'engager dans l'armée (dans les Corps francs d'Afrique, ou chez les Pionniers britanniques, ou encore dans la Légion étrangère).

Ceux qui ont incorporé les Corps francs d'Afrique ont rejoint la 2ème Division blindée du général Leclerc ou le 3ème Bataillon de marche du Tchad, et participé aux combats pour la libération de la France.

Mais ça, c'est un autre sujet...

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