Pour répondre à cette question, je voudrais vous raconter une anecdote dont j'ai eu connaissance par le livre de Claude Laharie "le camp de Gurs".
En 1979, alors que 40 années s'étaient écoulées depuis la création du camp et que le temps en avait effacé presque toutes les traces, les jeunes de la MJC d'Oloron se sont intéressés à son histoire et ont organisé toute une série de manifestations auxquelles se sont joints d'anciens internés et quelques historiens. Parmi les évènements entourant ces commémorations, ils ont eu l'idée d'ériger, à l'endroit des anciennes installations, un grand panneau de bois commémoratif. Celui-ci, dressé au bord de la route nationale, énonçait succinctement le nombre d'internés par catégorie d'indésirables en dessous de l'inscription "ici se trouvait l'ancien camp de concentration français de Gurs". Et bien sitôt dressé, le panneau de bois a été profané et les derniers mots martelés !
J'imagine quelque ancien employé du camp, passant un matin devant le panneau commémoratif, surpris de voir ressurgir un passé qu'il croyait définitivement enterré, heurté par le vilain mot attaché au camp de Gurs, et peut-être même vexé de se trouver ainsi déclaré complice d'une organisation dont il est de notoriété publique qu'elle bafouait la dignité des internés. Toute la journée, l'affaire a dû grandement préoccuper notre homme. Sans doute, il n'en a pas dormi pendant plusieurs jours. Je l'imagine encore, à la lueur d'un soir, martelant les mots accusateurs.
Individuellement, nous pouvons être dans le déni pour nous protéger nous-même d'une réalité. Collectivement, c'est un peu pareil. Une société va toujours avoir tendance à refouler un passé dont elle n'est pas fière ou, si elle ne peut l'effacer, en atténuer la portée. Cela permet de s'affranchir de tout un tas de choses désagréables comme ressentir de la honte, affronter une indignation légitime, avoir à rendre des comptes, demander pardon, etc.
Dans le cas de la profanation du panneau du camp de Gurs, je comprends. Je veux dire que j'arrive à comprendre qu'il y ait des voix pour s'élever contre le souvenir.
Ce que je ne comprends pas, par contre, c'est que l'on cède à ces voix.
Aujourd'hui, on peut lire sur le panneau commémoratif "ici se trouvait l'ancien camp d'internement français de Gurs".
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