Un chemin de la Retirada

Physionomie d'un camp français

  Pour faire face au mouvement de population provoqué par la chute de la Catalogne, le ministre de l'Intérieur donne le 27 janvier 1939 ses consignes aux préfectures du Sud de la France. 

Il commence par souligner la nécessité d'accueillir les réfugiés dans de bonnes conditions. Puis, il décrit les 3 cas de figure qui se présenteront et, pour chacun, la conduite à tenir :

1er cas - Beaucoup de réfugiés souhaiteront rentrer chez eux :  il faudra les y encourager,

2ème cas - Des réfugiés envisageront de rester en France et disposeront de ressources : il conviendra de les orienter vers d'autres départements, étant précisé que la région parisienne leur est strictement interdite,

3ème cas - Des réfugiés sans ressource ne voudront pas retourner en Espagne : ceux-là devront être soignés et hébergés.

Voilà. C'est tout. Pour les détails, le ministre renvoie à l'Instruction générale de mai 37. 

Visiblement, le ministre n'a mesuré ni la gravité ni l'ampleur du phénomène qui s'annonce !

Quand et comment passe-t'on de l'improvisation à l'organisation ?

Fin janvier 1939, les premiers "centres d'accueil" ouvrent à Argelès-sur-Mer, Prats de Mollo, Bourg-Madame et Saint-Cyprien.

Au cours de la 1ère semaine de février, trois zones de rassemblement se dessinent :

- sur les plages du Roussillon : Collioure, Argelès-sur-Mer, St Cyprien, Le Barcarès

- en Haut-Vallespir : Prats-de-Mollo, Arles-sur-Tech, Amélie-les-Bains

- en Cerdagne : Latour de carol, Osseja, Mont-louis.

Mais mi-février, le froid qui sévit force à l'abandon des camps d'altitude. Les hommes sont regroupés sur les plages et les femmes sont déplacées dans des "refuges" à l'intérieur du pays.

Le 23 février 1939, un chargé de mission Responsable de la coordination de l'ensemble des mesures concernant l'accueil des réfugiés espagnols est nommé en Conseil des ministres : le général Ménard. En somme, sa mission consiste à trouver un abri à des dizaines de milliers de personnes, pour quelques mois, jusqu'à la fin de l'été, voire de l'automne 39 tout au plus, et à organiser leur subsistance. Cela en un minimum de temps et de moyen, et - ne l'oublions pas - de façon à permettre une surveillance maximum.

Camp d'Argelès-sur-Mer, dessin (détail)

Hum, pas facile !

Mais le général Ménard n'est pas du genre à se débiner : la création de camps ex nihilo sera la partie la plus visible et la plus marquante de la réponse qu'il va apporter à la situation.

D'ailleurs, lorsqu'on pense à un camp de réfugiés espagnols, c'est encore et toujours l'image de ces camps qui s'impose dans les esprits aujourd'hui !

Pourquoi les baraques ont-elles des murs obliques ?

En fait, seules les baraques des internés ont ces murs "obliques" si caractéristiques. Les baraques du personnel du camp, des gardiens, des services sanitaires et administratifs, ont des murs droits, sans bas-flanc.

La technique de construction des baraques à bas-flanc, dite de type Adrian, a été mise au point pendant la 1ère guerre mondiale. Son principal avantage est que l'édifice réalisé à moindre coût présente une bonne résistance au vent et aux intempéries.

De surcroit, ces baraques peuvent être érigées en un temps record, et ça, ça intéresse tout particulièrement les autorités !

Au sol, la baraque fait 24 m de long sur 6 m de large mais l'intérieur n'en fait que 4. Elle est destinée à accueillir 60 personnes (soit 1,6 m² habitables par réfugié).

Les murs et les toits sont faits de planches de 1,5 cm d'épaisseur clouées sur la charpente. Les planches ne sont pas jointées de sorte que le vent et le froid s'engouffrent facilement dans la construction.

Toitures et bas-flancs sont recouverts de carton bitumé ; un matériau relativement efficace contre la pluie... pour peu que le vent ne l'ait pas déchiré !

Coupe d une baraque d internement

Il n'est pas prévu d'éclairer les baraques. Ni de les chauffer. Ça viendra plus tard, lorsque les autorités admettront que le provisoire va durer un peu

Ainsi, à l'automne 39, 2 ou 3 ampoules de faible voltage seront ajoutées à chaque baraque. Jusque-là, pour avoir de la lumière, il faut ouvrir l'une des 6 lucarnes de bois aménagées dans les cloisons latérales. De sorte que si l'on veut conserver la chaleur, il faut accepter l'obscurité !

Au cours de l'hiver 39-40, un poêle à bois et à charbon viendra prendre place dans chaque baraque. Mais alors, ce sont les rations de bois qui se révèleront insuffisantes !

Les baraques ne sont pas meublées. Quand les réfugiés y aménagent, les constructions sont entièrement vides, à l'exception des paillasses.

C'est quoi exactement un "ilot" ?

L'ilot est un camp miniature et autonome à l'intérieur du camp. Son périmètre regroupe généralement :

- des baraques de réfugiés (= les baraques à bas-flancs) en plus ou moins grand nombre selon la taille de l'ilot,

- 1 petite construction qui sert de cuisine,

- 1 infirmerie qui peut accueillir quelques malades,

- les lavabos : en fait de "lavabos", il s'agit généralement d'une longue auge de bois, compartimentée en bacs , alimentée par une canalisation percée de trous (un simple bouchon que l'on ôte et que l'on replace dans le trou fait office de robinet). Parfois, les ilots de femmes sont équipés de "lavabos" cloisonnés mais ce n'est pas systématique.

- des latrines : il s'agit d'une petite construction surélevée, compartimentée et cloisonnée à mi-hauteur. Sous les trous d'aisances sont disposés des bacs que les internés vont vider à tour de rôle à l'extérieur de l'ilot,

- des douches : selon le taux de remplissage de l'ilot, les réfugiés y ont accès 1 fois par mois, par quinzaine ou par semaine.

Camp du Vernet d'Ariège - Maquette (détail)

Ilots du camp du Vernet d'Ariège

Maquette exposée au Musée du camp du Vernet d'Ariège

Chaque ilot est généralement ceinturé d'une double rangée de barbelés.

La 1ère rangée fait de l'ilot un lieu clos à l'intérieur du camp. Cette première enceinte est percée d'une porte, gardée en permanence, donnant sur l'allée centrale du camp.

A certaines périodes de l'existence des camps, les internés seront autorisés à accéder à cette allée centrale pour retrouver des parents ou amis d'un autre ilots. Mais cette pratique n'est pas la règle.

A la 1ère ligne de barbelés vient souvent s'ajouter une 2ème  ligne qui fait tout le tour du camp. L'espace compris entre les 2 rangées est réservé aux gardiens.

Ilots "A", "B", "C"... à quoi correspond cette classification ?

A rien du tout ! Il n'existe aucune classification générale.

Les indésirables sont, je l'ai dit, classés selon des catégories (brigadistes, femmes dangereuses, fortes têtes,...) et chaque camp est spécialisé dans l'hébergement d'une ou plusieurs de ces catégories.

La création d'ilots répond à cette même logique. En effet, ces infrastructures permettent au responsable de chaque site de trier ses internés. Parmi les critères de regroupement les plus fréquents, on peut trouver le sexe, la nationalité, la couleur politique ou la croyance religieuse.

Quelles sont les autres installations du camp ?

Même réduit à sa plus petite expression, un camp comporte toujours 2 ensembles au minimum : l'un réservé aux internés, l'autre aux services administratifs (direction, intendance, dortoirs des gardiens,...).

L'allée centrale est l'artère principale du camp. Disposés de part et d'autre de cette allée, nous avons les ilots et les quartiers administratifs.

Les grands camps disposent également d'un hôpital central mais qu'il y en ait un ou pas, ne change pas grand chose à l'affaire en raison de l'absence presque totale de médicaments et de matériel médical. Les cas graves sont systématiquement conduits vers l'hôpital civil le plus proche. Cette pratique a l'avantage de faire baisser le taux de mortalité du camp !

Tous les camps respectent-ils un même schéma ?

Pas du tout !

Si les camps construits ex nihilo sont organisés peu ou prou ainsi que je l'ai décrit, dans leur très grande majorité les camps ouvrent dans des bâtiments détournés de leurs fonctions initiales.

C'est ainsi qu'anciennes prisons ou casernes, forts et citadelles, usines désaffectées, hangars, granges ou fermes, colonies de vacances, moulins, écoles, salles de spectacles, ... abritent des réfugiés. En tout, le dispositif d'enfermement comprendra jusqu'à 200 camps.

D'une région à l'autre, d'un site à l'autre, les conditions de vie des internés sont très variables.  Mais ça, c'est un autre sujet ...

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