Un chemin de la Retirada

L'internement administratif

On parle d'internement administratif lorsqu'une personne est enfermée en dehors de toute procédure judiciaire, mais sur simple décision administrative (en général, la décision est prise par le représentant de l'Etat en région, c'est-à-dire le Préfet).

Normalement, il s'agit d'une mesure d'exception mais, dans les faits, entre février 1939, au moment où s'ouvre le premier camp d'enfermement, et mai 1946,  quand est libéré le dernier interné administratif, l'internement a été clairement l'instrument d'une politique d'exclusion.

Au final, cette mesure s'est appliquée à 600 000 personnes, à des hommes, des femmes, ainsi qu'à des enfants, dans quelques 200 camps répartis dans tous les départements de l'hexagone. C'est vous dire l'ampleur du phénomène !

Quelles sont les populations internées ?

Lorsqu'en février 1939, le premier camp ouvre à Rieucros, en Lozère, c'est pour accueillir les "indésirables étrangers". Il s'agit principalement de ressortissants espagnols et de brigadistes.

A partir de septembre de la même année, du fait de la déclaration de guerre, les "ressortissants de puissances ennemies", en clair les Allemands et Autrichiens donc, sont internés à leur tour, ainsi que des communistes français.

Après la défaite de 1940, le gouvernement de Vichy durcit les mesures d'enfermement des communistes et des indésirables étrangers qui, aux yeux des nouvelles autorités, sont à l'instar des juifs, des tziganes, des  francs-maçons, des anarchistes,... les ennemis de la France. Petit à petit, droits-communs, trafiquants au marché noir, proxénètes et prostituées viennent grossir les effectifs des internés administratifs.

Au printemps 1942, les camps deviennent un élément crucial de la Solution finale.

A la libération, ce sont les personnes suspectées de collaboration et les civils allemands qui sont internés.

Quels camps ?

On a appelé les camps français, centres d'hébergement ou d'accueil, centres de séjour surveillé, camps de transit ou encore, surtout de 1939 à 1940, camps de concentration.

L'utilisation d'un nom plutôt qu'un autre est évidemment avant tout politique mais pas seulement puisque ces termes recouvrent des situations très diverses.

En marge des lieux d'internement, officiels ou improvisés, il existait également d'autres structures qui permettaient l'application de mesures de surveillance étroites, je veux parler des assignations à résidence et des Groupements de Travailleurs étrangers.

Qui de la poule ou de l’œuf... ?

On peut valablement s'interroger sur les circonstances qui ont présidé l'instauration d'un dispositif administratif d'enfermement.

J'entends souvent dire que c'est la survenance d'évènements exceptionnels qui a obligé à la mise en œuvre d'une solution d'exception, que les camps ne seraient finalement qu'une résultante de la Retirada.

C'est n'importe quoi ! Ce qui est sûr, c'est que les autorités françaises ont été débordées, submergées par le nombre de réfugiés espagnols. Ok, ça d'accord. C'est indéniable.

Mais qu'il n'y avait pas d'autre option. Alors ça non !

Si l'on regarde de plus près le calendrier des évènements, on s'aperçoit qu'il y avait, au départ, une volonté consciente, décomplexée et délibérée, d'exclure de la société française certaines catégories de personnes, que cette volonté, politique donc, s'est dotée d'un cadre légal et réglementaire, et, pour finir, que la Retirada a offert à cette volonté la première occasion de s'exprimer.

Et le cadre règlementaire alors ?

En 1927, après 10 années d'une politique d'ouverture des frontières qui a facilité la reconstruction, la France vote une loi qui assouplit les conditions d'accès à la nationalité française aux étrangers. Ils sont nombreux, Polonais, Italiens, Espagnols... à en bénéficier dans les années suivantes (par naturalisations ou accession automatique).

En 29, la crise vient mettre un coup d'arrêt à cette dynamique et, dans la foulée, des textes visant à limiter le recrutement et l'emploi de la main d’œuvre étrangère sont adoptés. Mais les quotas demeurent assez élevés et leur application plus ou moins rigoureuse.

En 1934 et 1935, la réglementation sur le séjour des étrangers se durcit progressivement. Il devient difficile d'obtenir ou de faire renouveler une carte de travailleur étranger.
Le nombre des expulsions augmente.

En 1938 et 1939, dans les textes et dans les faits, la position des étrangers en France se détériore encore :

- en janvier 1938, c'est une première en France, est créé un sous-secrétariat d'État chargé des services d'immigration et des étrangers (chargés de contrôler l'entrée et le séjour des étranger, ainsi que leur accès à la nationalité)  ;

- le 14 avril 1938, le Ministre de l'Intérieur demande aux Préfets des"actions méthodiques et énergiques en vue de débarrasser le pays des éléments indésirables trop nombreux" ;

- en mai 1938, le décret-loi du 2 et plusieurs décrets durcissent les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Dans un souci de sécurité nationale et de protection de l'ordre public, le gouvernement Daladier affirme sa volonté d’instaurer un système de surveillance des “bienvenus” et d’exclusion des “indésirables”  ;

- en août 1938, les services de police des étrangers sont réorganisés. Des budgets sont alloués ;

- et nous y voilà, le décret-loi du 12 novembre 1938 autorise l'enferment des "indésirables étrangers" dans des "centres spécialisés". Le texte vise non pas les auteurs de crimes ou de délits mais les personnes suspectées  de vouloir porter atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale.

Pour nuancer le tableau, je dois souligner que, dans le même temps, une part de l'opinion publique s'exprimait en faveur du droit d'asile et, alors même que se durcissaient les conditions d'accueil et de séjour des étrangers, on leur assurait, par décret-loi du 2 mai 38, une protection spécifique et on réprimait, par le décret Marchandeau du 21 avril 1939, les propagandes racistes ou antisémites... avec le résultat que l'on sait.

A l'automne 1938, l'arsenal législatif et règlementaire est prêt à servi. Il ne manque plus que l'occasion... mais il n'y aura pas longtemps à attendre : celle-ci se présentera avant la fin de l'hiver.

Qu'est-ce que "l'inspection générale des camps" ?

En 1941, le ministère de l'intérieur du Gouvernement de Vichy dote le dispositif d'un service dénommé Inspection générale des camps et des centres d'internement.

Les inspecteurs généraux ont pour mission d'améliorer la gestion et le fonctionnement des lieux d'internement.

Leurs inspections ou visites donnent lieu à la rédaction d'un rapport. Rédigé par l'inspecteur général ou bien, parfois, par le directeur du camp, un médecin, un délégué de la Croix Rouge ..., le document peut être accompagné de photographies.

L'Inspection générale a été dissoute en 1946 avec les derniers camps. Ses rapports de visite, photographies,... sont conservés aux Archives nationales.

Les rapports de visite, numérisés par les Archives nationales sont consultables : www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/IR/FRAN_IR_055943

Pour faciliter les recherches (car tous les camps n'ont pas été visités par l'Inspection générale), je vous invite à jeter un oeil à la carte des Archives qui vous indique les camps inspectés : https://andji.carto.com/viz/e048fb3e-3ed5-11e6-a60e-0e3ff518bd15/public_map

Comment échappait-t'on à l'internement administratif ?

Les principales options que les réfugiés avaient pour sortir du camp était de :

- retourner en Espagne (voir la fiche le retour en Espagne),

- émigrer vers un autre pays, essentiellement en Amérique latine,

- s'engager dans la Légion étrangère ou être enrôlé dans une Compagnie de Travailleurs Étrangers ou, à partir de 1940, dans un Groupement de Travailleurs Étrangers,

- se faire embaucher, par le biais des bureaux de recrutement du camp dans une usine, une exploitaiton agricole ou forestière, ou encore l'organisation Todt.

Il y eut des évasions, individuelles ou groupées. Les évadés se sont évanouis dans la nature, ont été repris ou bien ont rejoint les rangs de la Résistance. Leur nombre a beaucoup varié d'un camp à l'autre et, s'il n'existe aucune statistique fiable en la matière, il semble qu'elles se soient plutôt produites dans les débuts des camps.

Mais ça, c'est un autre sujet ...

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