Un chemin de la Retirada

5 exodes dont 1 Retirada

EXODE : émigration en masse d'un peuple (définition du Larousse).

Naturellement la Retirada, qui a vu entre le 26 janvier et le 13 février 1939 un demi-million d'Espagnols franchir la frontière pyrénéenne, répond à cette définition. Spectaculaire, traumatisante, dramatique, cette expérience est restée dans nombre d'esprits comme l'unique exode de la guerre civile d'Espagne.

Or, s'il est vrai qu'aucun autre mouvement de population n'a égalé l'ampleur de la Retirada, celle-ci n'est pas un évènement isolé. En réalité, la Retirada est le 4ème des 5 exodes qui se sont produits entre juillet 1936 et mars 1939.

Été 1936, premier exode

Dans les jours qui suivent le soulèvement des militaires, les généraux rebelles font le constat que leur plan est mis en échec : ils ne sont pas parvenus à prendre le pouvoir.

Dès lors, leur action change de forme et, de tentative de coup d'État, elle devient une guerre de conquête. Une de leurs premières grandes offensives, la campagne du Guipuscoa, consiste à prendre la région de San Sebastián. L'objectif est de couper les communications et les relations entre les provinces républicaines de Nord et la France.

Les combats acharnés et les premières manifestations de la répression nationaliste dans la région provoquent un exode depuis Irun, Fontarrabie, San Sebastián, Pasajes, et même Bilbao. Il s'agit principalement de civils mais il y a aussi quelques combattants. Tous veulent échapper aux représailles annoncées par le général Mola qui est à la tête des troupes lancées à l'assaut du Guipuscoa.

Cet exode concerne plus de 10 000 personnes, dont beaucoup sont totalement dénuées de ressources.

Les autorités françaises prennent en charge les réfugiés qui se présentent à un poste-frontière pyrénéen ou dans les différents ports de la côte atlantique. Ils sont ensuite dirigés vers les départements du Midi ou du Centre où ils sont répartis sur de nombreuses localités, parfois même chez des particuliers.

L'accueil est plutôt chaleureux, même si l'on déplore ici ou là quelques incidents. Des comités d'assistance aux réfugiés se forment et organisent la solidarité.

Les retours sont rapides. Les réfugiés font majoritairement le choix de Port-Bou lorsqu'il s'agit d'indiquer une gare de rapatriement. Au printemps 1937, les quelques réfugiés de cette 1ère vague à demeurer sur le sol français sont pour la plupart des mineurs.

Mai-octobre 1937, deuxième exode

Le bombardement de Guernica perpétré le 26 avril 1937 par les aviations allemande et italienne convainc les autorités basques que la terreur annoncée par les nationalistes est en passe de décimer leur population. Elles décident donc de lancer l'évacuation à grande échelle des civils.

Cette évacuation est ouverte aux personnes âgées, aux femmes et aux mineurs de moins de quinze ans. Toutes les bonnes volontés travaillent dans l'urgence. Comme l'armée nationaliste s'est rendue maître de toutes les voies terrestres reliant les régions républicaines du Nord à la France, cet exode s'effectue par la voie maritime.

Dès début mai, des bateaux battant pavillon espagnol, britannique ou français, prennent déjà la direction des ports de Bordeaux, Pauillac, La Palice, Nantes, La Rochelle, Saint-Nazaire, Lorient... et même, pour quelques-uns d'entre-eux, les ports britanniques !

Le mouvement d'exode consécutif à la Campagne du Nord de l'armée nationaliste est particulièrement important. Les historiens estiment entre 100 000 et 120 000 le nombre de réfugiés. Face à cet afflux, le ministère de l'Intérieur français organise leur dispersion sur une grande partie du territoire national. C'est ainsi que, sur le fondement de l'Instruction générale sur l'hébergement des réfugiés espagnols, les 34 départements situés entre la Garonne et la Loire sont classés en "première urgence" et 14 autres, de la Bretagne à la Bourgogne, en "deuxième urgence". Dès le 3 juin, les départements de deuxième urgence sont mobilisés.

Comme l'année précédente, des comités d'accueil se forment et font l'intermédiaire entre les réfugiés et les autorités locales. Les incidents sont rares. Pour autant, cette solidarité ne fait pas l'unanimité en France et une partie de la presse se fait le relais des opposés à l'asile.

A la fin de l'été, considérant le coût élevé des dépenses de toute nature occasionnées par le séjour des réfugiés, le gouvernement décide le démantèlement des centres d'accueil. Le 29 septembre 1937, le Ministre de l'intérieur ordonne aux Préfets d'organiser sous 15 jours le rapatriement obligatoire de tous les réfugiés espagnols, malades exceptés, hébergés dans leurs départements. Les réfugiés ont le choix entre le Pays Basque ou la Catalogne. Ils sont raccompagnés à la frontière en octobre 1937.

Mars-avril 1938, troisième exode

Après les afflux réfugiés de 1936 et de 1937, le gouvernement français redoute qu'à un moment donné des Espagnols en armes finissent par gagner son sol. Il charge donc un militaire, le général Ménard, de concevoir un "plan de barrage". Le dispositif retenu prévoit le désarmement de la troupe, l'accueil et l'évacuation des civils, ainsi que l'intervention d'unités d'infanterie, de cavalerie, de gendarmerie et du service de santé aux ports et points de passage "obligés".

Ce plan trouve à s'appliquer dès le printemps 1938, après que les armées nationalistes aient lancé une nouvelle campagne : l'offensive d'Aragon. Grâce à leur domination aérienne, les troupes de Franco reprennent Teruel, conquièrent l'Aragon, prennent Lerida puis Huesca avant de percer les défenses loyalistes jusqu'à la Méditerranée.

Les réfugiés (au moins 15 000 personnes dont environ 7 000 combattants) gagnent les Hautes-Pyrénées. Ce département compte de très nombreux ressortissants espagnols ce qui permet à beaucoup d'arrivants d'être hébergés chez des parents ou amis. Mais cela s'avère très insuffisant et 3 centres d'accueil provisoire sont rapidement ouverts à Arreau, Argelès-Gazost et Luz-Saint-Sauveur.

Dès le mois d'avril, les miliciens (c'est ainsi que l'administration française désigne les soldats de l'Armée républicaine) sont renvoyés en Espagne, en Catalogne, pour reprendre le combat. Les civils sont répartis dans plusieurs départements (souvent, ils sont installés dans les locaux laissés vacants par les rapatriés de 1937) et, dans la foulée, leur rapatriement est organisé. 

A la fin de l'année 1938, on estime à 40 000 le nombre des réfugiés espagnols des exodes successifs demeurés en France, dont une grande proportion de mineurs.

Janvier-février 1939, quatrième exode : la Retirada

Les républicains croyaient dur en la résistance catalane. Tous pensaient : "Barcelone ne peut pas être prise!"  Oui, c'est vrai que le défilé d'adieu des Brigades internationales, le 15 novembre 1938, avait porté un coup immense au moral des barcelonais et des réfugiés de toutes les régions d'Espagne qui s'étaient amassés dans cette zone. Vrai qu'on y subissait la famine. Vrai aussi que les dernières levées d'hommes étaient restées vaines. Malgré tout, quand le 23 décembre 1938, Franco lance la Campagne de Catalogne et que le front cède en plusieurs points, on croit encore que ¡no pasarán! à Barcelone.

Mais moins d'un mois plus tard, prise en étau entre, d'un côté, les armées des généraux Yagüe et Asencio et, de l'autre, celles du général Valiño, Barcelone ne se défend pas. Et le 26 janvier 1939, les nationalistes pénètrent dans la capitale catalane. Le jour même commence le plus grand exode de la guerre civile.

Des dizaines de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants, jeunes et vieux, blessés et valides, civils et combattants, prennent la route de l'exil dans l'espoir de trouver refuge en France. L'administration française n'est pas préparée à ce déferlement. Les autorités sont complètement prises de court. Après avoir longtemps hésité, elles activent à nouveau le "plan de barrage" de Ménard et le 28 janvier se décident à ouvrir la frontière aux civils.

Le gros des troupes républicaines commence à se replier le 5 février, jour de la chute de Gérone, le gouvernement républicain ayant dans le même temps obtenu de la France qu'elle ouvre sa frontière aux combattants. La dernière division, celle dite de couverture, passe en France le 11, à Portbou, tandis que quelques unités isolées résistent encore du côté de Puigcerda. Le 13 février, l'armée nationaliste finit de prendre possession de tous les points de passage et la frontière est fermée. Malgré tout, de petits groupes de réfugiés civils et militaires parviennent encore à se faufiler en France par les sentiers de montagne.

Sitôt arrivés sur le sol français, les combattants sont désarmés puis ils sont acheminés, ainsi que les civils, vers des camps montés à la hâte.

Le rapport Valière présenté à la Chambre le 9 mars 1939 fait état de 440 000 réfugiés, dont 220 000 civils, 210 000 soldats ou miliciens et 10 000 blessés. Un peu plus tard, le ministre de l'Intérieur annoncera le nombre de 514 000 réfugiés.

Leur accueil, organisé dans l'urgence et l'improvisation, se révèlera calamiteux (voir la fiche La politique d'accueil).

Mars 1939, cinquième et dernier exode

Le cinquième et dernier exode survient dans les toutes dernières semaines de la guerre civile, en mars 1939, alors que le camp républicain se délite complètement et que la zone centrale, la dernière à ne pas être sous domination franquiste, est sur le point de tomber.

Carthagène, siège de la flotte républicaine, est bombardée par l'aviation italienne alors que les vaisseaux sont au mouillage. Le 5 mars, le commandant donne l'ordre d'appareiller et de prendre la direction de Bizerte (Tunisie).

Quelques jours plus tard, le 26 mars, les nationalistes lancent leur offensive finale. Ils prennent Madrid le 28, puis c'est le tour de Jaén, Cuenca, Albacete,... Des milliers de soldats républicains se dirigent alors vers les ports de Valence, Alicante, Carthagène et Gandia, espérant être évacués mais les gouvernements français et britannique s'y refusent.

Finalement, entre 10 et 12 000 personnes (dont quelques centaines de soldats) parviennent à embarquer et à quitter l'Espagne. Les côtes marocaines sont proches de l'Espagne mais le nord du Maroc est aux mains des franquistes. Aussi, les cargos de réfugiés prennent la direction de l'Algérie et de la Tunisie.

L'accueil des réfugiés en Afrique du Nord est tout aussi improvisé qu'il a été, quelques semaines plus tôt, sur le territoire métropolitain (voir la fiche Les camps d'Afrique du Nord).

Les civils et les soldats républicains qui, n'ayant pas réussi à s'embarquer, sont restés à quai dans les ports espagnols sont contraints de se rendre. Ils seront conduits, par milliers, au camp de concentration franquiste d'Alcatera.

Pourquoi l'expérience de la Retirada est-elle différente des exodes précédents ?

Comme je l'ai dit, on a eu à déplorer quelques incidents en 1936, 1937 et 1938. Les réfugiés n'ont pas toujours été bien reçus et ont pu être confrontés à des comportements hostiles.

Mais dans l'ensemble, ils ont été bien accueillis : des crédits importants ont été alloués, des solutions d'hébergement ont toujours été trouvées, quand c'était possible les familles n'ont pas été séparées, la solidarité s'est fortement exprimée. Souvent leur retour en Espagne s'est accompagné de vivas et de remerciements.

Alors pourquoi les réfugiés du quatrième exode, celui dit "la Retirada", ont-ils dû souffrir de conditions d'accueil si déplorables ?

Cette situation dramatique est le résultat d'une addition de facteurs :

La Retirada est un afflux d'une ampleur sans précédent dans l'histoire de l'Europe (500 000 personnes),

surpassant toutes les prévisions (les plus alarmistes évaluaient à 80 000 le nombre des réfugiés en cas de chute de la Catalogne),

survenu brutalement (tous, Espagnols comme Français, pensaient que Barcelone allait résister...),

concentré sur quelques jours (la frontière s'est ouverte moins de 3 semaines),

en des points de passage très peu nombreux.

Tout cela explique l'improvision et l'urgence dans laquelle les premières mesures d'hébergement ont été mises en oeuvre et, franchement, je ne sais pas si un autre pays aurait été, dans ces circonstances, capable de faire mieux, de recevoir et d'héberger tous ces exilés dans de meilleures conditions. Ça, c'est pour les camps improvisés.

La suite, elle, s'explique par un fort sentiment de rejet qui s'était répandu dans la société française ; une société qui -alors- désignait sous le terme d'indésirable tout individu dont elle ne voulait pas ou plus.

Des civils de l'autre camp ont-ils participé à l'exode ?

Les textes et témoignages qui évoquent les exodes qui se produisirent pendant la guerre civile d'Espagne, traitent quasi-exclusivement de l'exil républicain. Mais à l'instar de "la terreur blanche" qui a frappé les opposants aux militaires soulevés, "les terreurs rouge et noire" ont, elles-aussi, entrainé la fuite de ceux qu'elles visaient.

Ainsi, d'août à décembre 1936, le département français des Pyrénées-Orientales a vu affluer, par la route et par la mer, plusieurs milliers de personnes dont de nombreux prêtres et religieux mais aussi des industriels, des commerçants, des avocats, des magistrats... Il s'agissait souvent de familles aisées qui voyageaient avec tous les papiers et ressources nécessaires à leur séjour en France. Elles se mettaient à l'abri, par précaution contre les exécutions sommaires et les fusillades.

La plupart de ces réfugiés se sont fait rapatrier rapidement (sans qu'il soit possible de déterminer par quel point ils ont repassé la frontière). D'autres sont demeurés en France ou ont re-émigré jusqu'à la toute fin des hostilités.

Dès la fin de l'année 1936, les autorités françaises des départements frontaliers constateront l'arrivée d'Espagnols (déserteurs de l'armée républicaine, personnes "neutres", ou jeunes gens qui ne veulent pas combattre) se déclarant favorables à Franco et demandant leur rapatriement par Hendaye.

Ce courant migratoire perdurera, de manière irrégulière, jusqu'à la fin de la guerre civile.

Et les enfants dans tout ça ? Est-il vrai qu'il y a eu des convois d'enfants ?

Le bombardement de Bilbao, le 4 janvier 1937, est l'élément déclencheur. C'est à partir de là que les autorités républicaines locales vont organiser l'évacuation des enfants de 5 à 15 ans, depuis Santander et le Pays Basque vers l'étranger.

Après plusieurs semaines de tractations, un premier voyage est organisé, fin mars 1937, vers l'Ile d'Oléron.

Par la suite, d'autres départs auront lieu vers la France, mais aussi vers le Mexique, la Suisse, le Danemark, l'Angleterre, l'U.R.S.S aussi, pour 3 mois dit-on.

Au total, ce sont plus de 50 000 enfants qui seront envoyés à l'étranger.

Pour en savoir plus sur les évacuations d'enfants, vous pouvez visiter l'exposition virtuelle du Centre de Documentation de la Mémoire Historique : ici

Beaucoup des enfants évacués seront rendus à leur famille. Mais d'autres ne retourneront jamais en Espagne.

Mais ça, c'est un autre sujet...

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