Un chemin de la Retirada

Marcos, soldat de l'Armée populaire

raconté par sa petite-fille.

 

Marcos Garriga Ferre est né le 23 janvier 1907 à Masllorenç, un petit village catalan situé à environ 80 km de Barcelone.

A cette époque, Masllorenç compte à peine plus de 900 habitants, lesquels vivent principalement de l'agriculture et notamment de la culture de la vigne.

Marcos travaille la terre depuis qu'il a 12 ans. Il en a 26 ans lorsqu'il épouse María. L'année suivante, en février 1934, une petite fille naît de cette union : Roser.

Ouvriers et paysans contre militaires

A Barcelone, le soulèvement militaire est un échec : à l'issue des combats de rue, les soldats rebelles se sont rendus aux Comités de Défense formés par les ouvriers et aux gardes civils demeurés loyaux à la République.

Dès les jours suivants, un peu partout en Catalogne, paysans et ouvriers se regroupent en assemblées et s'organisent.

Marcos, très engagé politiquement, est élu chef du comité révolutionnaire et président de la coopérative des agriculteurs. Il est alors chargé de répartir les récoltes entre les propriétaires et les travailleurs. Comme il est réserviste de l'Armée populaire, il partage son temps entre les réunions politiques, le travail des champs, la gestion de la coopérative et une préparation militaire qu'il fait à Tarragone.

Lorsqu'en 1937, la classe 1928 est appelée, il prend les armes et part pour le front.

Les combats sont éprouvants, les succès passagers. L'année suivante, le retrait des Brigades internationales et la défaite de la bataille de l'Ebre ont raison des derniers espoirs de victoire. La campagne de Catalogne est désastreuse. L'Armée populaire recule : Tarragone est prise le 17 janvier, Barcelone le 26 puis c'est au tour de Gérone, Figueres,... Devant la tournure des évènements, Marcos doit se résigner à quitter l'Espagne en laissant derrière lui, au village, sa femme et sa petite Roser qui a 4 ans.

Après la Retirada, un exil qui s'inscrit dans la durée

Le 5 février 1939, la France ouvre sa frontière aux combattants et, comme beaucoup de ses compatriotes, Marcos la franchit à pied, dans le froid glacial de l'hiver. Aussitôt, Marcos et ses compagnons sont désarmés, embarqués dans des camions et emmenés au camp de concentration d'Argelès-sur-Mer où ils doivent construire eux-mêmes leur baraque sur le sable, encadrés par des tirailleurs sénégalais qui les martyrisent. Les Espagnols sont séquestrés là, dans l’improvisation et le dénuement le plus total.

Au bout de quelques mois, après que la 2ème guerre mondiale ait éclaté, on propose à ces prisonniers de partir travailler dans les fermes dont le maître de maison a été mobilisé. Marcos saisit l’occasion. Il est engagé dans un Groupement de Travailleurs Etrangers (GTE) et se retrouve ouvrier agricole à Manchecourt dans le Loiret. Il connaît bien le travail, le même que dans son village natal, mais il lui faut s’habituer au climat très humide et à cette langue, ce français qu'il ne comprend pas, mais qu'il lui faut apprendre en vitesse. Jusqu'ici, il n'avait été entouré que de compatriotes. Comme ils sont nombreux à Manchecourt à venir de ce maudit camp d’Argelès, le soir, ils se retrouvent au café du village pour discuter de leur sort.

En zone libre, il est interné à nouveau

En juin 1940, lorsque la France signe l’armistice, Marcos est donc dans la zone occupée. Les recherches n'ont pas permis de savoir comment il franchit la ligne de démarcation mais on retrouve sa trace au moment où il est à nouveau interné dans les camps du sud de la France : d'abord à Agde, dans un camp de transit où il ne reste que peu de temps, puis au camp de concentration d'Argelès-sur-Mer dont il réussit à s'évader fin 1940 (en décembre ?). Ensuite, avec l’aide d’amis de Masllorenç qui étaient venus en France bien avant lui et qui vivaient à Perpignan, Marcos réussit à trouver un hébergement et du travail, ou plutôt à enchaîner les petits boulots.

De là, il écrit souvent à sa famille par l’intermédiaire de la Croix Rouge et de sa belle-sœur qui habite un village voisin et à qui il fait adresser son courrier.

Deux jours de bonheur volés en février 1941

Grâce à cette correspondance, Marcos réussit à mettre sur pied une rencontre avec sa femme et sa fille dans un mas près du col du Perthus, tandis que de leur côté, mère et fille obtiennent des autorités, l'autorisation de rendre visite à une "cousine de La Junquera", en réalité une passeuse.

En février 1941, María et Roser prennent le train puis l’autobus pour se rendre jusqu’à La Jonquere. Là, elles attendent la nuit puis guidées par la passeuse, empruntent le plus silencieusement possible les chemins de montagne jusqu'au lieu de rendez-vous situé dans les hauteurs du Perthus. Marcos les y rejoint quelques heures plus tard.

La parenthèse dure 2 jours ; deux jours de bonheur et d’amour mais aussi de discussions pour envisager l'avenir. La France de la zone libre est dirigée par le gouvernement de Vichy : les Espagnols y sont indésirables, internés, renvoyés en Espagne ou livrés aux Allemands. En Espagne, la dictature est en place et fait la chasse aux républicains. Et puis, María s’occupe de ses parents et de sa belle-mère ; elle ne veux pas les abandonner. Et puis, il y a Roser...

Au bout de deux jours, les époux résignés se séparent à nouveau. Chacun regagne son point de départ.

Après 10 ans de séparation, les retrouvailles ... enfin !

Marcos est exilé depuis déjà 10 ans quand María apprend du médecin du village que des passeports peuvent être délivrés : elle décide donc d'entamer les démarches pour rejoindre Marcos avec Roser. Au bout de plusieurs mois, alors que son attente semble prendre fin, il lui faut satisfaire une dernière formalité : en échange de la remise du précieux sésame,  les autorités espagnoles obligent María à signer un document qu'elle ne peut pas lire. En réalité, elle s'engage sans le savoir à ne revenir en Espagne qu’accompagnée de son mari (alors condamné à mort ou à la prison).

C'est donc en mai 1949, après toutes ces années de séparation, que Marcos finit par retrouver sa femme et sa fille alors âgée de 15 ans. Après plusieurs déménagements, depuis Bompas, puis Perpignan et enfin Le Soler, il installe définitivement sa petite famille à Saint-Estève où il travaille comme métayer pour des propriétaires des alentours. La famille s'agrandit et ils vivent heureux.

Lorsque survient la mort de Franco, en 1975, Marcos n'est retourné en Espagne qu'une seule fois : c'était 3 ans plus tôt pour la fête de Masllorenç. Par la suite, il y fait quelques séjours, de courte durée, pour revoir les siens mais beaucoup ne sont plus là car 40 années se sont écoulées depuis l'exil forcé.

Marcos s'éteint le 31 octobre 1981, à l'âge de 74 ans, avant que ne s'achève en Espagne le processus de transition démocratique.

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