Un chemin de la Retirada

Francisco, réfugié de 12 ans

raconté par sa nièce.

 

Francisco Gandarillas Jaureguizar est né le 5 mai 1926 au Pays Basque. Dernier enfant d'un chef mécanicien de la marine marchande et d'une mère au foyer, il a trois grandes sœurs.

Il a 10 ans quand éclate la guerre civile

Le soulèvement militaire a été mis en échec à Saint-Sébastien mais, dès les premiers jours de septembre 1936, la ligne de front approchant, sa famille décide de suivre le mouvement des civils et de se mettre à l'abri en quittant la ville. Ils ne le savent pas encore mais ils n'y reviendront jamais. Francisco a 10 ans.

Début 1937, lorsque les autorités basques organisent l'évacuation des enfants vers l'étranger, il est question que Francisco soit envoyé en Russie pour trois mois, dit-on, le temps que les "choses se tassent". Mais ses parents ne se résignant pas à la séparation, ils renoncent à l'évacuer :  toute sa vie, Francisco sera reconnaissant envers ses parents d'avoir pris cette décision !

Francisco est quand même évacué en juillet de la même année.

L'évacuation par la mer

Avec sa mère et la plus jeune de ses sœurs, Francisco quitte le Pays Basque à bord d'un cargo qui, avant, transportait du minerai. Le charbonnier a embarqué un millier de civils, essentiellement des femmes et des enfants, quelques anciens. Le jour n'est pas encore levé quand ils accostent au matin du 5 juillet à Saint-Nazaire. L'immense hall de la Compagnie Générale Transatlantique a été transformé en centre d'accueil et de triage à partir duquel les réfugiés sont répartis dans les centres d'hébergement. Francisco y passe quelques heures avant d'être affecté, avec sa mère et sa sœur, à un groupe d'une soixantaine de personnes en partance vers l'Ille-et-Vilaine.

A Rennes, ils sont hébergés dans un hôpital psychiatrique, l'asile de La Piletière. Ils y sont environ 150 réfugiés espagnols. Mais, au bout de trois mois, il faut partir. Les Français donnent le choix : soit repartir au Pays Basque, devenu entre-temps territoire franquiste, soit partir pour la Catalogne, zone républicaine.

S'agissant des mineurs, ils sont reconduits à la frontière avec leurs parents.

Le retour en Espagne... pour quelques mois

Ils arrivent tous les 3 en Catalogne le 8 octobre 1937. Là, ils sont pris en charge par le Service d'Assistance aux Réfugiés qui leur trouve un logement à Barcelone d'abord, puis à Gérone. Même si la vie est très difficile en raison des pénuries, Francisco et sa famille s'en sortent plutôt bien car, avec l'aide du Service aux Réfugiés, ils arrivent à retrouver le père et les deux sœurs aînées.
 

A 12 ans, Francisco fait la Retirada

Début 1939, les troupes de Franco envahissent la Catalogne. Barcelone est tombée le 26 janvier, il leur faut quitter Gérone. Le chemin de Retirada de Francisco est le même que celui de sa mère ; ils passent ensemble par Figueras, dernière ville et sans doute dernier repas chaud avant la frontière, puis par le tunnel du chemin de fer à Portbou, et enfin Cerbère, en France, d'où ils prennent un train spécial pour la Charente.

Francisco a 12 ans. Comme il est un peu petit pour son âge, il dit à la police française qu'il n'en a que 11 ; histoire d'être bien certain de ne pas se trouver seul (à partir de 14 ans, les autorités françaises mettent les jeunes garçons avec les hommes).

Interné à la Combe-aux-Loups puis au camp des Alliers

Arrivés à Angoulême, mère et fils se retrouvent avec plusieurs centaines d'autres réfugiés, principalement des femmes et des enfants, entassés dans les étages supérieurs d'un garage attenant à la gare.

Dans les jours suivants, ils sont transférés par autobus au camp de la Combe-aux-Loups à Ruelle. C'est un camp de taille moyenne qui comprend une dizaine de bâtiments de brique, pouvant héberger environ 2 000 réfugiés. Leur dortoir est semblable à tous les autres. C'est une pièce disposant d'une porte à chaque extrémité, où sont disposées 3 rangées de paillasses. Elle est éclairée par de grandes fenêtres sans volets et chauffée par un poêle à charbon.

Pour les repas, ils font la queue en file indienne avec leur assiette pour recevoir leur ration puis ils prennent place sur un banc devant l'une des longues tables.

Au début, les sorties sont interdites. Ensuite, les grilles sont ouvertes du matin jusqu’au soir des laissez-passer faisant office de pièces d'identité leur sont distribués.

Quelques jours après leur arrivée, Francisco commence à apprendre le français. Les 200 enfants du camp sont répartis en groupe qu'un surveillant emmène soit à la salle des fêtes, soit à l'école des Seguins.

A Ruelle, de nombreux particuliers accueillent des réfugiés espagnols sous leur toit ou à leur table. Le 29 mars 1939, Francisco peut quitter le camp (tandis que sa mère demeure internée) car Madame Sitaud le recueille chez elle. Il y trouve confort et réconfort, et il progresse en français.

Entre-temps, sur un terrain dit "aux Alliers" situé à l'entrée Sud d'Angoulême, le Préfet de Charente, voulant récupérer les bâtiments de la Combe-aux-Loups, fait construire à la hâte des baraques de bois. Les travaux ne sont pas encore achevés que le 1er septembre 1939, le camp accueille ses premiers 1 800 "pensionnaires".

Francisco (car les enfants hébergés chez les particuliers n'échappent pas à la "reconcentration" décidée par les autorités) et sa mère font partie du long cortège qui quitte Ruelle et, passant par la rive droite de la Touvre et l'ancienne nationale 10, rejoint le camp des Alliers à pied.

La vie y est très difficile : il n'y a pas encore de sanitaires (il faut se contenter d'une tranchée creusée au fond du camp) et quelques baraques n'ont pas encore de toit.

Par la suite, des fentes apparaissent entre les planches de la baraque. Le toit non plus n'est pas étanche. Quand il pleut, l'eau s'infiltre partout et fait même rouiller le poêle à charbon !
Pour Francisco, c'est très dur, même si les cours à l'école Jules Ferry lui permettent d'échapper quelques heures à la misère du camp.

Dès la mi-septembre, le camp commence à se vider (c'est le moment où l'administration se lance dans une grande campagne de persuasion pour obtenir des réfugiés qu'ils retournent en Espagne). A la mi-novembre, ils ne sont plus que 400 réfugiés aux Alliers, dont Francisco et sa mère qui espère toujours renouer un contact avec les autres membres de la famille.

 

Libéré en avril 1940, il retrouve son père

Début avril, c'est chose faite. Ils obtiennent un laissez-passer pour quitter le camp et rejoindre le père de Francisco qui a trouvé du travail dans une usine d'armement à Lourdes.

Ils échappent tous deux ainsi au sort que réservera quelques semaines plus tard la Kommandantur d'Angoulême aux républicains espagnols ("convoi des 927", premier convoi à destination du camp d'extermination nazi de Manthausen : les hommes de plus de 13 ans y seront débarqués, très peu en réchapperont, les femmes et les enfants seront rendus à Franco).

Le 10 avril 1940, ils arrivent en gare de Lourdes. Après plus d'un an de séparation, Francisco revoit son père et sa plus jeune sœur. Tous les 4 ont trouvé à se loger dans un petit appartement au fonds d'une cour. C'est la guerre, il y a les tickets de rationnement et le salaire du papa est bien maigre mais rien n'a plus de valeur que de retrouver la liberté et ses proches.
Résignés à ce que leur Retirada se transforme en un long exil, ils entament les démarches pour obtenir la nationalité française.

Mais, sitôt après la signature de l'armistice avec l'Allemagne, le Gouvernement de Vichy adopte des lois qui visent à exclure les étrangers de la société : les demandes de naturalisation sont suspendues, toute la famille est convoquée à la mairie où ils doivent restituer cartes de ravitaillement et papiers d'identité, le père de Francisco est radié du personnel de l'usine et, comme il n'a plus "les ressources pour subvenir à son entretien et à celui des personnes à sa charge", il est enrôlé dans un Groupement de Travailleur Etranger (GTE).

Francisco et sa petite famille sont "gardés libre" à proximité du GTE où travaille le papa. De Lourdes à Argelès-gazost puis à Lézat-sur-Lèze, les déplacements se font en camion, escortés par les gendarmes. Le plus difficile est de trouver à se nourrir. Généralement, les hommes du GTE ne reçoivent aucun salaire mais parfois un employeur, particulièrement satisfait, leur donne un peu d'argent. Ils vivent de peu, de chapardage et de la générosité de fermiers. Francisco a faim tout le temps. Son père lui a donné une aiguille qu'il a toujours avec lui quand il va par la campagne ; dès fois qu'il "trouve" un œuf de poule. Parfois, la sœur de Francisco fait des petits travaux de couture.

Le Gouvernement de Vichy le renvoie dans les camps : à Argelès-sur-Mer puis à Rivesaltes

Un jour de février 1941, les gendarmes viennent les chercher. Le Gouvernement de Vichy a décidé de mettre fin au statut de "gardé libre" ; les étrangers doivent être enfermés et surveillés. Ils sont emmenés au camp d'Argelès-sur-Mer. Ce camp correspond exactement à l'image qu'on se fait d'un camp de réfugiés : des baraques à perte de vue construites à même le sable par les réfugiés, 14 000 personnes recluses dans un état de misère absolu, hommes d'un côté, femmes et enfants de l'autre, tous parqués dans des enclos délimités par des barbelés.

Francisco, qui a alors 14 ans, souffre de la faim. Il continue de mentir sur son âge pour ne pas subir le sort des hommes.

Les conditions de vie sont telles que les autorités décident du démantèlement du camp d'Argelès-sur-Mer :
- les femmes et les enfants sont transférés au camp de Rivesaltes. N'en pouvant plus, la mère de Francisco, alors âgée de 57 ans, décide de retourner en Espagne et abandonne-là ses deux cadets à la veille du transfert.
- les hommes sont traités selon leur utilité : le père de Francisco est envoyé sur la côte atlantique pour travailler à l'édification de fortifications.

Francisco passe 12 mois au camp de Rivesaltes, dans une baraque de fibrociment de l'îlot K, d'abord, puis de l'îlot Q. Quand les Allemands viennent chercher les jeunes garçons, sa sœur le cache dans le petit espace qu'il y a entre le toit et le plafond de la baraque. Elle prend sur sa ration de pain pour la donner à son frère.

En novembre, le père, devenu inapte au travail en raison d'une blessure, est interné à son tour à Rivesaltes, dans le même îlot : ils peuvent se voir tous les jours... au travers du grillage.

Plus de 3 ans après la Retirada, Francisco est libéré définitivement

Le 2 juin 1942, Francisco, alors agé de 16 ans, est libéré : son père et sa sœur viennent de se faire embaucher par un exploitant agricole qui, en recherche de main d’œuvre, est passé au bureau de recrutement du camp. L'exploitant du Mas Conte est d'accord pour prendre toute la famille. Francisco sera chargé d'aller au village pour faire toutes sortes de courses pour les besoins de la famille du patron et du mas. 

A la fin de la seconde guerre mondiale, Francisco reste encore quelques temps au Mas Conte. Puis, mentant sur son âge (cette fois, il se vieillit !), il s'engage dans la Légion Étrangère.

Il est décédé en septembre 2004 à l'âge de 78 ans.

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