Un chemin de la Retirada

Alfred, brigadiste allemand

raconté par la filleule de sa femme.

 

Né le 10 octobre 1909, Alfred Arend Polak Salinger est l'ainé d'une famille bourgeoise de Westerstede (Allemagne). C'est un grand gaillard d'1m78. Sportif, il se distingue lors du championnat universitaire, notamment dans les épreuves du saut en longueur.

Un gaillard donc mais avec la tête bien pleine. Diplômé de l’Oberrealschule de Oldenburg (ancienne école supérieure, l'équivalent de nos lycées actuels mais pour garçons) en 1929, il étudie ensuite la médecine aux universités de Heidelberg et de Berlin.

Dès le début des années 1930, les juifs commencent à être discriminés en Allemagne.

Emprisonné en 1934 pour des "raisons politiques", il est explusé en 1935 de l’Université de Heidelberg sans diplôme. Il émigre en Suisse, plus précisément à Berne, où il essaie sans succès de s'inscrire à l'université pour terminer ses études de médecine.

Il finit par quitter la Suisse pour la France. Il ne veut pas revenir à Westerstede. D'ailleurs ses frère et sœur quittent eux-aussi l'Allemagne après que le jeune frère, qui avait repris en 1933 l'affaire de leur père défunt, ait été contraint de vendre la maison familiale à vil prix.

Lieutenant médecin de la XI Brigade internationale

En décembre 1936, Alfred est hébergé à Paris, square Guillot. Il reçoit l'aide du Comité Central d'Assistance aux Migrants Juifs qui tente de lui obtenir l'autorisation de se fixer en France. D'après ce même comité, si Alfred obtient une carte d'identité régulière, le Racing-Club de Paris pourrait l'engager dans l'une de ses équipes de football.

Mais, Alfred n'attend pas que l'administration française se prononce sur la demande et, fin février 1937, après un séjour en France de 2 mois, il quitte Paris en direction de l'Espagne où il s'enrôle dans les Brigades internationales.

Il est incorporé dans un bataillon de langue allemande de la XIème Brigade avec le grade de lieutenant médecin.

La XIème Brigade a été créée en 1936. Elle est connue pour avoir empêché, avec la XIIème Brigade, la chute de Madrid. D'ailleurs, lorsque Alfred rejoint son groupe, la bataille de Madrid s'achève. Par la suite, la XIème Brigade livrera ses principaux combats à Boadilla del Monte, Majadahonda, Jarama, Guadalajara, Brunete, Belchiste et Teruel.

Après la retraite d’Aragon, au début du printemps 1938, les Brigades internationales se sont regroupées au nord de l’Ebre, dans la Comarca du Priorat, où elles se préparent à la prochaine grande offensive. Elles y resteront jusqu’au 24 juillet.

Aux premières heures du 25 juillet 1938, elles passent l’Ebre... avec le succès qu'on leur connait.

Après 2 mois de forts combats, en octobre 1938, le gouvernement républicain demande que les Brigades internationales soient retirées du front. Alfred revient au Priorat et, comme les autres volontaires étrangers, attend son rapatriement.

Le 15 novembre 1938, à Barcelone, dans une ville ravagée par les bombardements intensifs de l'aviation italienne, les Brigades internationales défilent. C'est un défilé d'adieu.

Pour autant, Alfred ne quitte pas L'Espagne, ou du moins pas tout de suite.

Car, tandis que les bataillons de langue allemande qui formaient la XI brigade étaient stationnées entre Falset et Cabacès, un hôpital de campagne avait été installé dans les grottes de la Bisbal de Falset près de la voie voie ferrée : la cave-hôpital de Santa Llúcia. C'est là qu'Alfred, qui officiait en tant que lieutenant médecin, avait rencontré puis épousé le 25 mai 1938, María, une catalane de Cabacès.

En octobre 1938, María tombe gravement malade. Une typhoïde compliquée est diagnostiquée, qui demande une hospitalisation urgente, et comme les hôpitaux civils sont pleins, elle est hospitalisée dans l'hôpital militaire.

Après la Retirada, l'internement à Argelès-sur-Mer puis à Collioure

Dès le début de l'offensive de Catalogne se pose la question de l'évacuation de l'hôpital militaire. Avant que la ligne de front n'atteigne la cave-hôpital, les militaires organisent un convoi, un train-hôpital, dans lequel María prendra place parmi les soldats blessés. Finalement, le train arrivera jusqu'à Portbou et, c'est en France, à Cerbère, que María sera séparée de ses compagnons de voyage.

Quant à Alfred, il passe la frontière au Perthus le 6 février 1939. Sitôt sur le sol français, il est conduit à Argelès-sur-Mer. A ce moment-là, le camp d'Argelès n'est qu'une clôture de barbelés qui entoure la grande plage du Racou. Les réfugiés y sont parqués. Ils creusent dans le sable des trous pour s'abriter du vent et des embruns. Alfred participe à la construction des premiers baraquements.

C'est une torture, pour ces hommes qui ont pris les armes pour défendre leurs idéaux, de se retrouver dans cette prison à ciel ouvert, réduits à se battre entre eux pour un morceau de pain, et survivre dans des conditions d'hygiène humiliantes. Alfred se rebiffe, une fois de trop, et par mesure disciplinaire, il est transféré le 17 avril 1939 au fort de Collioure.

Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l'Allemagne. A cette date, et bien que l'enquête de police diligentée en juin n'ait rien donné, Alfred est toujours interné au camp spécial de Collioure.

 

Engagé en 1940 dans la défense de la France

On ne sait trop ni comment et ni quand Alfred est transféré du camp de Collioure (66) à celui de Gurs (64).

Quoi qu'il en soit, on retrouve sa trace dans les registres de la sous-intendance militaire du camp de Gurs : le 27 février 1940, Alfred s’engage pour la durée de la guerre, dans un régiment d'étrangers de l'armée française. Le bureau de recrutement de Pau l'enregistre sous le matricule 117.

Nommé soldat de 2ème classe le 28 février 1940, il est dirigé vers le dépôt de la Légion au camp de Sathonay. Ce dépôt est chargé du recrutement des engagés volontaires qui participent, notamment, à la défense de Lyon.  Mais Alfred n'y restera pas longtemps car les volontaires d'origine germanique sont finalement évacués vers le Sud.

Alfred est alors dirigé vers le dépôt commun des régiments étrangers de Sidi-Bel-Abbès (Algérie).

Incorporé dans un Groupement de Travailleurs Etrangers

Démobilisé, Alfred est rattaché au 513ème Groupement de Travailleurs Étrangers, basé à Muret (31).

C’est pendant son séjour à Muret qu’il fait la connaissance d'Yvonne.

Il s’évade du GTE le 23 décembre 1942 lors de l’occupation de la commune par les Allemands.

Arrêté et déporté à Auschwitz

Quelques temps plus tard, Alfred est repris et arrêté à Lyon. 

Il est emprisonné au Fort de Chapoly (69), qui depuis l'armistice de juin 40 sert de lieu de détention des rafles menées par Vichy. Puis il est transféré à la prison de Fresnes (94) jusqu’à la fin juin 1943.

Le 29 juin 1943, il est interné au camp de Drancy (93), plaque tournante du dispositif de déportation des juifs, sous le matricule 23347 Escalier 7- Chambre 2 .

Alors qu'il est à Drancy, Yvonne met au monde leur fils, Bernard.

Alfred est déporté le 18 juillet 1943, par le convoi n° 57, pour le camp de travail de Jaworzno, un sous-camp dépendant de Auschwitz, où il est d'abord affecté aux mines de charbon puis K°A.E.G. à l'infirmerie du camp annexe de Glewitz.

Des témoignages de camarades de Jaworzno ont fait savoir qu’il vivait encore en novembre 1944 mais que atteint de tuberculose il avait été transféré à Auschwitz avec le dernier convoi de malades.

Il est décédé dès son arrivée à Auschwitz. Il était alors âgé de 35 ans. Son nom Alfred Polak est inscrit sur le mur du mémorial de la SHOAH.

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