Un chemin de la Retirada

Chemin du Coll dels Bélitres à Cerbère

Chaque année, une Marche de la Mémoire est organisée dans le cadre de la manifestation commémorative "Caminos, Camins, Chemins de la Retirada" à Argelès-sur-Mer (66). On peut s'enquérir des date, heure et lieu de rendez-vous sur le site https://www.ffreee-retirada-argeles-sur-mer.fr/

Le samedi 22 février 2025, je me suis donc rendue au Colls dels Bélitres à Cerbère. Le départ de la Marche était prévu à 9h30 et, comme à mon habitude, je suis arrivée trop en avance. Alors, j'ai patienté, seule, sous le vent.

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Le Coll dels Bélistres, entre Cerbère et Portbou

"Coll dels Bélistres", c'est du catalan. En français, je crois qu'on dit "Col des Balistres" mais j'aime moins. On perd du sens, c'est dommage ! 

Les "Bélistres", ce sont les voleurs. Les catalans ont ainsi baptisé ce col routier parce qu'il était notoirement emprunté par les voleurs et les contrebandiers qui voulaient échapper à la maréchaussée. Pour bien se l'imaginer, il faut savoir qu'en cet endroit où la chaîne des Pyrénées se jette dans la mer Méditerranée, c'est le 1er passage, celui le plus à l'est, à seulement 165 m d'altitude.

Le col routier relie la France à l'Espagne, certains diront la Catalogne Nord à la Catalogne Sud, la commune française de Cerbère au village espagnol de Portbou.

Le Mémorial de l'exil

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Entre la fin janvier et le début du mois de février 1939, cette voie a été l'un des principaux lieux de passage de la Retirada. A l'époque, le Commissaire spécial de Cerbère a fait état de 140 000 réfugiés, hommes, femmes et enfants, arrivant soit par le col, soit par le tunnel ferroviaire qui passe dessous. 

Le Mémorial de l'Exil, érigé en hommage aux réfugiés espagnols, est constitué de 4 panneaux de métal qui se dressent au bout d'une sorte de plateforme. Illustrant la Retirada, des images d'archives racontent le désarroi et la douleur des réfugiés, la rudesse de leur accueil en France et leur concentration dans les camps. Les légendes sont rédigées en catalan, espagnol, français et anglais.

 Tandis que je photographie les panneaux, d'autres marcheurs arrivent. Le petit parking situé en contrebas s'est vite rempli, déjà des voitures stationnent le long de la départementale D914. Je suis étonnée par le nombre des participants. Autour de moi, on parle catalan, français et espagnol. Certains sont venus en famille, d'autres entre amis. 

Une Marche de la Mémoire, ça se partage !

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A l'heure du départ, nous voilà près de soixante. Quelques jeunes mais surtout des moins jeunes ! Les adhérents de l'association FFREEE (Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l'Exode) à l'initiative de la manifestation, sont venus en nombre. Mais parmi les participants, on compte aussi des représentants de Dame (l'association des Amis de la Maternité d'Elne), de la Fondation Antonio Machado de Collioure, de l'Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France, et même de l'Université de Alcalá. Également présent, Felip Solé, le réalisateur catalan, filme quelques séquences qui figureront peut-être dans son prochain documentaire.

Derrière FFREEE qui ouvre la marche, nous nous mettons en mouvement, tous emmitouflés dans nos vestes et manteaux, rentrant la tête dans les épaules mais rien n'y fait, le vent glacé s'engouffre tout de même dans les encolures. 

Les drapeaux claquent à chaque rafale. Moi aussi j'arbore les couleurs de la République espagnole : j'ai noué un petit foulard rouge, jaune et violet, à la bandoulière de mon sac à main.

Premiers mètres et conflit de mémoires...

Nous quittons la plateforme et passons devant la plaque dédiée aux combattants des Brigades internationales, puis contournons la petite construction de l'ancien poste frontière espagnol et nous engageons sur la départementale sans un regard pour le Monolithe du Franquisme qui nous surplombe. Ce monument a été élevé par le régime de Franco sitôt la fin de la Guerre civile en souvenir des combattants de la IV Division de Navarre et de l'occupation dès le 10 février 1939 de Portbou et de la frontière avec la France. Quelques dizaines de mètres plus loin, nous passons devant le bâtiment abandonné par les douanes françaises.

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De la départementale au sentier des muletiers

Nous continuons notre descente par la route jusqu'après le premier virage. 

Ensuite, nous contournons le parapet et, quittant le bitume, nous engageons sur le sentier des muletiers. 

Au début, c'est à peu près plat. Mais, rapidement, ça descend fort. La pente est raide : le sentier plonge tout droit ou presque sur le village.

A partir d'ici, mieux vaut être bien chaussé !

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En file indienne, nous avançons prudemment sur le chemin caillouteux bordé de figuiers de barbarie, d'oliviers et de buissons de thym. 

Le paysage est bucolique, la promenade plaisante. Depuis que nous avons quitté la route, le pan de la montagne qui s'élève dans notre dos nous abrite du vent. Nous ne ressentons plus le froid et continuons notre descente.

Par temps mouillé, le chemin doit être très glissant mais nous sommes chanceux, la pluie n'a été annoncée que pour la mi-journée. Dans la neige, comme en 39, ça doit être autrement plus compliqué de ne pas rouler-bouler jusqu'en bas. Toute à cette pensée, je ne m'étonne même pas de passer à côté de la carcasse rouillée d'une voiture !

Sur notre droite, la nature est sauvage. Sur la pente qui s'élève sur notre gauche, celle exposée au soleil, nous pouvons voir les terrasses des jardins en espaliers, qui permettaient de travailler la terre à plat en dépit de la forte pente mais aussi d'empêcher que la terre ne se ravine et ne dégringole au fond du ravin à chaque orage. Aujourd'hui, la majorité des parcelles est abandonnée.

Ça et là se dressent les ruines d'anciens cabanons. Mon regard se pose un instant sur l'un d'eux. Je me demande s'il était déjà là, il y a 80 ans... Certainement que oui. 

Et nous continuons notre descente.

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En bas de la pente, le tunnel dels Bélistres

Tandis que nous approchons du village, sur notre droite, derrière des grilles et des barbelés, les voies du chemin de fer s'enfoncent dans un tunnel creusé dans la roche. 

Je m'arrête quelques instants pour plonger mon regard dans la grande trouée noire. C'est par là qu'au terme de trois années de guerre, un jour d'hiver 39, Francisco et Jesusa, mon arrière-grand-mère et son plus jeune fils, sont arrivés à Cerbère. Ils espéraient assistance et protection. Ils ne trouvèrent que défiance et concentration.

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  Le fracas du train qui s'engage dans le tunnel fait éclater la bulle de mes pensées et tandis que je rejoins le flot des marcheurs, un homme de FFREEE, avec lequel j'ai échangé quelques mots plus tôt dans la matinée, me désigne l'entrée de la galerie souterraine. Il me confie que des clandestins s'y réfugient parfois, que de temps en temps un train les "attrape".  

Passé et présent se superposent dans ma tête. Ça ne finira donc jamais... 

La colonne des marcheurs s'est à présent engagée dans le tunnel piétonnier qui débouche de l'autre côté des voies ferrées. 

Je n'ai pas besoin de presser le pas pour rattraper le groupe car il est arrêté à la sortie du souterrain. On n'en aperçoit pas encore les constuctions mais je comprends que nous avons atteint le village et que, tandis que nous crapahutions sur le sentier, d'autres hommes et femmes, ceux qui n'ont pu participer à la Marche, se regroupaient en cet endroit.

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Pose d'une plaque commémorative et fin de la marche

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Pourquoi là ? Parce qu'une plaque a été posée. Elle est recouverte du drapeau de la IIème République espagnole. 

Après un court discours à deux voix (celles de la présidente de FFREEE puis du 1er adjoint de Cerbère), tous les yeux se posent sur les seuls deux enfants présents. C'est au jeune garçon et à la fillette qu'il revient de dévoiler, sous nos applaudissements, la plaque commémorant le passage de 100 000 républicains espagnols et internationaux.

Quelques minutes plus tard, la marche commémorative se terminera d'une bien belle façon : la municipalité a organisé dans les locaux de la Mairie une exposition temporaire intitulée "Cerbère et la Retirada" et accueille tous les participants autour d'un café républicain ! 

Voilà. C'est fait. Ça faisait longtemps que je voulais participer à une édition de "Caminos, camins, chemins de la Retirada" et tout particulièrement à une Marche de la Mémoire. Je dois dire que je ne regrette pas mon déplacement. Le programme de ces journées, dense et varié, m'a beaucoup intéressée et la marche de l'ancien poste frontière du Coll dels Bélistres à Cerbère, alliant partage et hommage, figure assurément parmi les moments forts.

Rendez-vous donc en 2026 pour la prochaine édition ;-)))

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Et vous ? Vous avez emprunté l'une des routes de l'exil espagnol et vous souhaitez partager votre expérience.

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