Un chemin de la Retirada

Chemin de Molló à Prats de Mollo

Plusieurs fois par an, la mairie de Molló organise des sorties guidées sur le Camí de la Retirada de Molló à Prats-de-Mollo par le Col d'Ares et sur le Camí de l'Exili de Molló à La Preste par le Col Pregon.

J'ai longtemps été tentée d'y participer mais je me suis toujours dégonflée car ces deux parcours sont plutôt longs, 14 km pour le premier et 12,5 km pour le second, et je ne suis pas habituée à marcher. En 2024, encouragée par mes proches, je me suis finalement décidée.

La préparation : de l'inscription au moment du départ

Après avoir consulté le calendrier des sorties guidées 2024 sur le site https://www.mollo.cat/retirada et choisi la date du 14 août 2024 pour ma marche, la première chose à faire était de vérifier s'il restait de la place. Car, si ces sorties avec guide sont gratuites, le nombre de place est néanmoins limité. Une inscription préalable est obligatoire.

J'ai donc téléphoné à la mairie de Mollò (au 00 34 972 740 387). Dès que mon interlocuteur a compris que je ne parlais pas le catalan, on est passés à l'espagnol. Quelques minutes ont suffit pour finaliser mon inscription pour la randonnée sur le Camí de la Retirada et échanger sur les modalités pratiques de cette journée. La conversation téléphonique s'est achevée sur quelques recommandations : je devais être bien chaussée, prévoir de l'eau car il n'y a pas de fontaine sur le parcours, et prévenir en cas de désistement. Rien de bien compliqué donc !

Une fois inscrite, je ne me voyais plus renoncer. Mais je dois avouer qu'un parcours de 14 km, avec un fort dénivelé (+ 555 m et - 990 m) et des passages difficiles, continuait de m'effrayer un peu. Alors, les fins de semaines qui ont précédé le fatidique 14 août, mon mari m'a emmenée marcher, d'abord sur des courtes distances sans dénivelé, puis sur des distances de plus en plus longues incluant montées et descentes.

Et, au petit matin du mercredi 14 août, après un copieux petit-déjeuner, nous nous sommes mis en route. A peine 83 km séparent Molló de Perpignan, mais il faut quand même plus d'une heure et demi pour les parcourir ! Quelques minutes avant 8 heures, nous arrivions au lieu du rendez-vous : la placette de la mairie de Molló.

Un peu d'histoire...

Le village de Molló est situé dans les Pyrénées espagnoles, en Catalogne, dans la vallée de Camprodon. Son nom fait référence à une pierre ou à un jalon qui délimite un territoire ou marque une frontière. On ne s'étonnera donc pas que Molló soit le dernier village avant la frontière qui sépare l'Espagne de la France (quand vous serez sur place,vous entendrez plutôt parler de Catalogne Sud et de Catalogne Nord).

Les historiens estiment qu'entre la fin janvier et le début du mois de février 1939, la Retirada draina environ 100 000 personnes et 15 000 têtes de bétail par cette vallée. A partir de Molló, il existe principalement trois voies pour parvenir en France : 2 passent par le col d'Ares (la route du col qui en 1939 s'arrêtait à la frontière pour devenir, côté français, une piste de montagne étroite, et un ancien chemin qui mène à la cabane des carabiniers), le 3ème est le chemin d'Espinavell qui permet de franchir la ligne de crête par le col Pregon.

La grande majorité des exilés qui fuit l'Espagne par la vallée de Camprodon choisit de passer par le col d'Ares. Mais le passage se referma le 13 février 1939 lorsque les troupes franquistes de la 53ème division de l'armée d'Aragon atteignirent le col.

Memoiredemocratique01

Le début de l'itinéraire

Marche 240101

A l'heure du départ, nous n'étions qu'une petite dizaine à nous trouver sur la placette. Comme je m'en inquiétais, j'appris de la mairie que sur les 50 inscrits à cette sortie guidée, 30 s'étaient désistés en raison des risques d'orages. D'autres marcheurs allaient sans doute encore arriver. Pour faire patienter notre petit groupe, notre guide, Víctor, se présenta, expliqua comment la randonnée allait se passer et nous rassura : comme nous étions peu nombreux, le groupe allait pouvoir se déplacer plus vite et avoir franchi les passages difficiles avant l'arrivée des orages ! Hou la la... Tout ça ne me rassurait pas du tout !

A 8h30, personne d'autre n'était arrivé mais Víctor décida que nous avions attendu suffisamment et le groupe se mit en marche d'un bon pas. Nous avons commencé par traverser le village depuis la Chapelle de Sant Sebastià jusqu'à la plaça Major. Puis nous nous sommes engagés dans la rue qui descend vers l'église Santa Cecília. La pente était forte et le sol mouillé était un peu glissant.

Le chemin de la Retirada de Molló à Prats-de-Mollo

Nous avons traversé la route d'accès à Molló et descendu les marches en direction de la route C38. J'ai un peu regretté de quitter le village après en avoir vu si peu. Note pour plus tard : retourner à Molló !

Le premier kilomètre est tout en descente. On a laissé Molló à 1 180 m et nous avons descendu des marches et des chemins qui étaient, pour partie, encadrés par des murets de pierres sèches, jusqu'au pont de Can Fumat qui, à 1 058 m, traverse le ruisseau El Ritort.

Là, nous avons emprunté le passage à gué, qui traverse El Ritort à quelques mètres du vieux point de pierre, puis remonté un sentier vers des prairies d'abord, puis au travers une forêt de pins.

Bon là, je ne vais pas vous mentir, ça montait déjà sévèrement !

Marche 240102
Marche 240103

Ça montait fort, mais la pente a fini par s'adoucir un peu avant que nous n'atteignions le Pla dels Bous à 1 186 m.

Notre groupe a poursuivi sa progression jusqu'au-dessus du petit col sur la crête, pour arriver devant la Casilla dels Carrabiners, la cabane des carabiniers. De là où nous étions, en nous retournant, nous pouvions voir en contrebas le village que nous avions quitté prés de 2 heures plus tôt.

Puis, après avoir contourné la Roca del Gall, nous avons continué notre marche jusqu'à un autre petit col, passé (ou repassé ? ou re-re-passé ? je ne sais plus bien) sous la ligne à haute tension, et descendu jusqu'à un autre petit col, contourné une crête, et descendu fortement jusqu'au col Prugent et là, nous avons vu s'élever droit devant nous le chemin qui grimpe vers le Col d'Ares.

Chaque virage révélait encore un morceau de cette côte raide et caillouteuse qui paraissait ne jamais s'achever mais, nous avons fini par atteindre le col (1 512 m) où nous avons croisé la route transfrontalière.

Marche 240104

Impossible de passer ici sans avoir une pensée pour tous les exilés qui ont emprunté ce chemin. Nous qui avions bien dormi et déjeuné, qui étions bien préparés et équipés, étions à la peine. Mais aucun de nous ne gémissait, ni ne se plaignait du rythme imposé par Víctor et la menace de l'orage.

Il aurait été déplacé de se lamenter car tous, nous avions à l'esprit ces hommes, ces femmes et ces enfants, qui au cœur de l'hiver 39 passèrent là même où nous nous trouvions et y avaient souffert la faim, le froid et la peur. Lorsque mon regard quittait les cailloux du chemin pour se poser sur les pins environnants, j'avais une pensée pour ceux qui s'étaient arrêtés là, à bout de force, dans cette pinède qui leur servait aujourd'hui de sépulture.

Nous avons franchi la frontière et, passant devant le bâtiment de l'ancienne douane, nous nous sommes dirigés vers le point de vue sur le Vallespir.

Sur notre droite, s'élevait le Monument commémoratif dédié aux réfugiés. Aux dires de Víctor, les plus dures montées étaient derrière nous, il s'agissait maintenant de tout redescendre... Après quelques tournants en zigzag sur la pente abrupte, le chemin s'élargit et devint plus plat. Parfois, il n'y avait plus chemin et nous poursuivions à travers champ.

Marche 240105
Marche 240106

A un moment, tandis qu'un peu en contre-bas de notre position, se trouvaient les vestiges de la chapelle Sainte Marguerite, nous avions devant nous le splendide massif du Canigou. Immédiatement après, le sentier déboucha sur un virage de la route mais nous avons vite quitté le goudron pour nous engager à nouveau dans le sentier jalonné de piquets aux marques jaunes.

Au sortir d'un bois de sapins, après quelques méplats et remontées, nous avons contourné un cours d'eau qui coulait entre fougères et frênes, puis nous avons continué de descendre jusqu'à apercevoir , face à nous, notre destination : la ville de Prats de Mollo, surplombée par le Fort Lagarde. Il nous restait encore 1 heure de marche !

Ensuite, le chemin s'est mis à descendre fortement au travers la forêt. Non sans soulagement, nous sommes passés devant le panneau qui indiquait Prats à 30 minutes, puis nous avons quitté la piste forestière pour nous enfoncer dans un bois de châtaigniers et de tilleuls.

A l'embranchement du Cortal d'Amadeo, nous avons pris à gauche et sommes descendus à travers bois. Le parc Mont Ôz'Arbres a succédé au bois. Nous l'avons traversé et, en bas du parc, nous avons traversé le ravin tout droit jusqu'au pont sur le Canadell que nous avons emprunté.

Quelques mètres plus tard, nous atteignions les premières maisons du hameau de Cendreu. Notre sentier déboucha sur une chemin plus large, qui lui-même nous mena jusqu'à la route qui descend vers Prats, 745 m.

Près de 5 heures après avoir quitté Molló, nous parvenions à Prats-de-Mollo... avant l'orage !

Marche 240107

Quelle expérience !

A aucun moment je n'ai regretté participer à cette marche, bien au contraire ! 

Marche 240108

D'abord, je voudrais souligner la parfaite organisation de la sortie guidée. Le site internet de la mairie est très complet (carte du parcours, recommandations, description de l'itinéraire, modalités de participation...). Víctor, le guide qui a accompagné mon groupe, a visiblement une grande expérience de la montagne et ses connaissances sont très étendues : depuis la botanique jusqu'à l'histoire de la frontière qui a scindé la Catalogne en deux, en passant par tout un tas d'anecdotes autour de la Retirada. Chaque arrêt était documenté et, pendant que nous reprenions notre souffle, Víctor partageait son érudition et répondait à nos questions, tandis que sa compagne, Ángels, qui cheminait avec nous, me traduisait l'un ou l'autre mot que mon niveau de catalan ne me permettait pas de comprendre. Enfin, la mairie ayant vraiment tout prévu, un autobus nous attendait à Prats-de-Mollo pour nous ramener à Molló.

Ensuite, je dois dire que j'ai aimé me trouver avec d'autres personnes qui partagent mon émotion à l'évocation de la Retirada. L'arrêt que nous avons marqué à l'embranchement du Cortal d'Amadeo, a été justement l'occasion pour les participants d'évoquer leurs histoires familiales respectives. C'est toujours un moment important pour moi, lorsque je suis en présence d'autres enfants et/ou petits enfants de réfugiés, car ces échanges me permettent de prendre de la distance par rapport à ma propre histoire familliale et à accepter mon émotion.

Enfin, le format marche mémorielle/randonnée me parait être un bon format pour transmettre la mémoire de la Retirada. Marcher dans les pas des exilés, voir les vestiges des lieux qui les ont abrités, entendre les témoignages des descendants, se figurer l'hiver recouvrir les paysages que l'on traverse... tout cela concourt à ce que cette mémoire reste vivante hors des livres d'Histoire et de la scénographie des musées.

Rendez-vous donc en 2025 sur le Camí de l'Exili (le chemin de l'exil) , l'autre itinéraire de sortie guidée proposé par la mairie de Molló.

Revenir à la page "Marches mémorielles"


 

Et vous ? Vous avez emprunté l'une des routes de l'exil espagnol et vous souhaitez partager votre expérience.

Racontez-nous brièvement votre marche en laissant un commentaire sur cette page

ou

contactez unchemindelaretirada.fr en remplissant le Formulaire de contact et nous dédierons une page à votre récit.

 

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam