Un chemin de la Retirada

Enseigner la Retirada

Enseigner la Retirada, c'est aussi réfléchir aux questions de l'accueil de l'étranger, de l'intégration et de la citoyenneté. Il s'agit de thèmes extrêmement sensibles dans notre société. Pour autant, la difficulté ne doit pas nous faire reculer car l'apprentissage de l'histoire des immigrations est un passage obligé du "vivre ensemble" dans une société multiculturelle.

Pour ma part, j'ai quitté l'école en 1991. A l'époque, il n'y avait pas de place dans l'Histoire de France pour ce qui n'était pas gaulois et bien que j'aie suivi mon entière scolarité à quelques kilomètres du plus grand camp d'internement d'Europe occidentale, les raisons de la présence de ce camp n'ont jamais été évoquées par mes enseignants. Le fait même de son existence n'a jamais été effleuré.

Je regrette vraiment que l'on ne parle pas ou trop peu dans l'espace scolaire de ce qui conduit les individus à quitter leur région d'origine pour chercher refuge dans un autre pays. Or, aborder cette problématique, qui est au cœur de toutes les questions sur l'immigration, rendrait plus intelligible aux élèves le monde dans lequel ils vivent.

Une pédagogie du projet

Je me suis laissée dire que les programmes scolaires avaient beaucoup évolué pour donner voix aux récits de l'immigration et de l'exil, notamment dans les cours de langues, et que ce serait pour cette raison que les séquences consacrées à la Retirada sont plus nombreuses aujourd'hui.

Ces séquences peuvent être liées à l'actualité, par exemple à la sortie du film d'animation Josep, mais c'est plutôt rare. Le plus souvent, elles sont abordées dans le cadre d'un cours où l'on rencontre un texte, une référence à la Retirada.

La Retirada peut aussi faire l'objet d'un projet dédié mêlant plusieurs disciplines : histoire-géographie, éducation civique, lettres, langues, sciences économiques et sociales, arts plastiques... Il semble que la combinaison majoritaire soit Espagnol/Histoire.

Ces initiatives multiformes impliquent souvent un investissement considérable, en temps et en énergie, de la part des enseignants, et la mobilisation de ressources. A cet égard, il est fréquent que les professeurs aient recours à l'histoire familiale des élèves présents en classe ou fassent appel à un intervenant extérieur (pour en savoir plus sur mes interventions en lycées, c'est ici ! )

Dans la grande majorité des projets, il est frappant de constater à quel point la motivation des élèves rejaillit sur les travaux entrepris.

 

Travaux d'élèves : quelques exemples remarquables

 

Une affiche : Auca de la Maternitat suïssa d'Elna

Au cours de l'année scolaire 2006-07, des élèves du lycée Aristide Maillol de Perpignan (66) ont réalisé une superbe affiche de 50 x 70 cm qu'ils ont intitulée "Auca de la Maternitat suïssa d'Elna".

Qu'est-ce qu'une auca me demanderez-vous ? Au départ, c'est un mot catalan qui signifie "oie" (du jeu de l'oie). Par dérivé, c'est le nom donné à cette illustration typiquement catalane qui, sur une feuille imprimée portant une succession de dessins accompagnés de textes en vers, est consacré à un thème. Parfois, elles relatent un évènement, l'histoire d'un personnage ou d'un lieu.

Pour cette auca consacrée à l'histoire de la Maternité d'Elne, c'est accompagnés par leurs professeurs de langue et d'arts plastiques, que les élèves de 2nde bilingue Français/Catalan se sont chargés des textes tandis que ceux de 1ère Pro Secrétariat réalisaient les 24 illustrations.

Au bout de leurs efforts, une superbe réalisation que vous pouvez voir dans sa version originale -en catalan donc- en allant sur le site dédié à ces auques (=pluriel de auca) : auques.cat

Une version trilingue (textes en catalan, français et espagnol) éditée par la Mairie d'Elne est en vente à la boutique de la Maternité d'Elne.

Un livret : Hommage aux réfugiés espagnols de 1939-1940

Tout au long de l'année scolaire 2003-04, deux classes de sections européenne du collège Varsovie à Carcassonne, accompagnées par l'équipe pédagogique de leur lycée et en collaboration avec le service éducatif des Archives départementales de l'Aude, ont étudié la dure réalité du camp de Bram.

Le 3 juin 2004, après 8 mois de travaux de recherche, d'enquête, de productions écrites,... au cours desquels ils ont pu s'entretenir avec d'anciens internés du camp, les élèves ont eu l'occasion de présenter le résultat de leurs efforts dans un grand colloque réunissant, notamment, des historiens, des élèves de collège, des lycéens, et des réfugiés espagnols accompagnés de leurs familles.

Un peu plus tard, le Conseil Général de l'Aude publiait un livret de 70 pages qui venait couronner la démarche.

Ce livret intitulé "Hommage aux réfugiés espagnols de 1939-1940" est disponible en consultation dans le réseau des médiathèques du Grand-Narbonne mais on pourra sans doute aussi le trouver dans les autres bibliothèques du département.

Une expo-photos : Les couleurs de la liberté, mémoires de la Retirada

Affiche Les couleurs de la liberté

Sous l'impulsion de leur enseignante d'espagnol, les élèves de la section européenne spécialité Langues, Littérature et Cultures Étrangères du lycée Déodat de Séverac de Céret (66) ont recueilli les souvenirs de personnes ayant vécu la Retirada.

Dans le cadre de cette démarche documentaire, accompagnés par leurs professeurs de géographie et de science politique, les élèves ont ensuite réalisé un énorme travail rédactionnel et, dirigés le photojournaliste Miquel Dewever-Plana, mit leurs textes en image au cours d'exercices photos inédits.

Initialement exposés au sein du lycée de Céret, leurs travaux ont été présentés au grand public lors d'une exposition qui s'est tenue en 2023 à l'Espace Liberté d'Argelès-sur-Mer avec le concours de l'association FFREEE (Fils et Filles de Républicains Espagnols et Enfants de l'Exode).

Un livre a été tiré de cette expérience. Il est disponible en édition française, espagnole et catalane en contactant par mail l'association FFREEE : ffreee.retirada1@orange.fr

Un livre : Manuel atypique d'histoire, la classe et la décennie retrouvée 1936-1946

Manuel atypique d histoire

Appréhender l'histoire collective à travers sa propre histoire, c'est le projet passionnant initié par Judith Manya, professeure d'histoire-géographie au lycée François Arago de Perpignan (66).

A la demande de leur enseignante, 34 élèves de 1ère Bachibac section binationale franco-espagnole ont enquêté auprès de leurs parents, grands-parents ou arrière-grands-parents, et ont récolté témoignages, photographies, documents de l'époque, lettres et dessins.

Sur la base de ces recherches, la professeure a ensuite effectué un travail de contextualisation, consulté les Archives, vérifié les trajectoires et les dates, et pour finir, croisé les histoires individuelles afin d'élaborer un récit commun. En raison du nombre conséquent d'arrière-grands-parents ayant vécu et/ou combattu durant la Guerre civile espagnole, que ce soit du côté des militaires factieux ou dans les rangs de ceux qui s'y opposèrent, un chapitre entier est consacré à ce conflit. Également, plusieurs familles ayant évoqué leur exil, leur passage de la frontière et leur internement dans les camps français, un autre chapitre est consacré aux réfugiés espagnols.

A noter que l'ouvrage propose aussi une réflexion sur le travail de l'enseignant.

Edité aux éditions Trabucaire, le livre est disponible en librairie.

Ces exemples ne sont qu'un petit aperçu de tout le travail réalisé par les enseignants et leurs élèves mais ils me paraissent admirablement illustrer la grande qualité de leurs réalisations.

Chaque fois, l'appropriation des projets par les élèves et l'implication de ces derniers dans la démarche proposée sont soulignés par leurs professeurs.

 

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